Les raisins de la colère

Ce billet pourrait aussi bien s’intituler « Le maïs de la colère » ou le riz, ou le blé… (On a qu’à penser aux manifestations récentes en Haïti et ailleurs dans le monde contre la hausse scandaleuse du prix des denrées alimentaires de base.)  

L’oeuvre intemporelle de Steinbeck, magistralement portée à l’écran par John Ford en 1940, est en effet d’une actualité déconcertante.

Nous sommes aux États-Unis, au début des années 1930. De nombreuses familles de fermiers de l’Oklahoma sont contraintes à l’exil, leurs terres desséchées par les tempêtes de vent ou reprises par des grandes compagnies sans scrupule qui introduisent le tracteur, machine pouvant réaliser le travail de 10 hommes de façon plus rapide et plus efficace. À qui la faute? Le progrès, la compagnie, son président, la banque? Un responsable fuyant comme la terre qui s’effrite entre les doigts, une menace fantôme qu’on n’arrive jamais à bien identifier… « Qui dois-je descendre, alors? » demande le père de famille.  « Je ne sais pas, monsieur » de lui répondre le huissier.

La famille Joad, ainsi chassée de la ferme où elle a vécu depuis des générations, prend la route dans un camion brinquebalant, chargé à outrance, et se dirige vers la Californie, terre promise où la rumeur veut que le travail et la nourriture ne manquent pas.

Les personnages déchanteront rapidement et se verront attrapés dans l’engrenage de l’exploitation, du cheap labour pratiqué par les riches propriétaires épaulés par les forces de l’ordre offrant leurs services « au plus offrant ». Ils seront forcés d’errer de camps de travailleurs en campements de fortune, véritables bidonvilles où les enfants meurent de faim. Seul le campement du « Ministère de l’agriculture », rare oasis de fraîcheur dans ce désert de pauvreté, semble un endroit décent, où les habitants vivent dignement, participant activement à son organisation, formulant leurs règlements et jouissant de la protection de leur propre milice (la police doit d’ailleurs avoir un mandat pour pouvoir pénétrer dans le camp). Un gouvernement qui, bien qu’il semble vouloir protéger la veuve et l’orphelin, paraît bien impuissant à changer les pratiques inhumaines des grandes entreprises.

Il s’agit d’une critique du capitalisme sauvage et de la chasse aux communistes. Pourtant, le ton n’est jamais moralisateur, il n’y a pas de grands discours, tout au plus quelques monologues mais la réflexion demeure subtile. Les images sont saisissantes de réalisme et le jeu des acteurs est sobre, loin des grandes envolées lyriques caractéristiques du cinéma hollywoodien de l’époque, laissant toute la place au récit, ce qui permet au spectateur de se glisser dans la peau des protagonistes, de vivre pleinement « l’exploitation de l’homme par l’homme ». Terriblement efficace.

Mais tout n’est pas que noirceur dans ce film. L’humour et l’espoir font partie du quotidien de la famille Joad et l’aîné a dans l’oeil une lueur qui le poussera à reprendre la route en quête de justice sociale, pour découvrir « ce qui ne tourne pas rond » dans ce système.

À voir ou à lire.

Steinbeck, John. Les raisins de la colère, Éditions Gallimard.

Adapté au cinéma par John Ford, avec Henry Fonda et Jane Darwell.    

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